Blues Rules

Trente ans après, le Blues Revival des années 1990 rocke et roule encore.

Lancé par le documentaire Deep Blues* produit par Dave Steward d'Eurythmics, orienté vers une hargne punk par les Gories à Detroit, cultivé au cœur du Mississippi par le nouveau label indé Fat Possum, ce deuxième retour du blues culmine et déferle mondialement au tournant des années 2000 avec deux groupes emblématiques, les White Stripes, et les Black Keys. Au passage, et malgré les décès au cours de la décennie des deux grands bluesmen qui l'inspirent, RL Burnside et Junior Kimbrough, elle aura renouvelé un rock'n'roll qu'on annonçait moribond.

Été 2021, Fat Possum produit toujours. Jack White, et son label Third Man, règne sur la scène indépendante américaine. Dan Kroha, le punk rocker des Gories, vient d'y sort un album intemporel de blues acoustique. Stewart ressort Deep Blues avec des out-takes retravaillés. Cedric Burnside, le petit-fils de RL et son batteur lors des tournées fondatrices des 90's, deux fois passé au ras d'un Grammy, lance ce qui s'annonce comme un nouvel essai. Et toute la presse, du New-York Times à Mojo, en passant par 24 Heures et le Monde, s'enflamme en bloc pour le nouvel album des Black Keys, plus qu'un retour aux sources après leurs coopérations avec Danger Mouse et leurs expérimentations rap-rock, un véritable pèlerinage.

Comme lors de ces années turbulentes où non seulement Stewart, mais Iggy Pop, Bono de U2 ou Keith Richards allaient jouer avec RL Burnside et Junior Kimbrough dans les bars clandestins, Auerbach et Carney sont allés enregistrer ces reprises de leurs héros avec leurs disciples locaux, Kenny Brown et Eric Deaton. L'album s'en ressent.
Guitariste favori de Burnside jusqu'à sa mort, soliste pour le pionnier du rockabilly Dale Hawkins, clef de voûte de la bande-son du controversé Black Snake Moan, Brown cisèle le son de bout en bout de ses rafales de notes sèches, brèves, inimitables.
Deaton, plus méconnu, qui avait quitté sa famille à 18 ans pour entrer en apprentissage chez Kimbrough, fournit le groove de basse inlassable, hypnotique, caractéristique de ce blues des collines, « Hill Country Blues ».

"The Black Keys ..."

Si Auerbach et Carney n'ont besoin de personne pour faire du grand rock, c'est grâce à Brown et Deaton qu'ils parviennent ici, plutôt qu'à la brillante réinterprétation de Chulahoma, à toucher le cœur même du blues, rêve d'Auerbach depuis qu'il avait appris à jouer de la guitare sur les morceaux de Kimbrough. Pas étonnant, Brown et Deaton, avec les héritiers Kimbrough et Burnside, sont les principaux piliers de ce blues dur, cru, cinglant, qui n'en finit pas d'abreuver le rock, comme musiciens des bars de campagne et des scènes internationales, et, pour Kenny Brown en particulier, comme animateur et organisateur.

C’est autour du « pique-nique » annuel** de Kenny Brown, dans les collines du Nord Mississippi, que se maintient cette scène blues. C’est là qu’il programme les meilleurs, jeunes ou vieux, cultes ou encore inconnus. C’est là que les rockers stars, les labels, les critiques viennent les découvrir. Et c’est là que les futurs organisateurs du Blues Rules suisse ont rencontré Kenny, là qu’a germé l’idée de ce festival à part, ambassade du Mississippi profond en Europe. Kenny en est le relais et le parrain, au point, cette année à nouveau, d’avoir accepté avec Eric Deaton de servir de backing band officielle du Blues Rules, auprès de ses compatriotes (Little Willie Farmer et Libby Rae Watson) mais aussi des jeunes rockers européens que ce festival programme.

Car, trente ans après, le Blues Revival des années 1990 rocke et roule encore,

et continue à inspirer de nouveaux groupes, comme, par exemple, The Two, révélation suisse il y a quelques années, né du Blues Rules où ils ont débuté comme bénévoles de scène.

 

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* Deep Blues : film réalisé par Robert Mugge, présenté par Robert Palmer, produit par Dave Stewart
** North Mississippi Hill Country Picnic : festival fondé en 2006 par Kenny Brown.

Texte : Yves "Ratel" Dorémieux