Blues Rules Crissier Festival 2019
Intersets : Floyd Beaumont & the Arkadelphians (CH) + DJ Phil (CH)
Vendredi 24 mai :
• Cœur Auguste (CH)
• Todd Albright (USA)
• Kent Burnside (USA)
• Johnie B & Queen Iretta Sanders Revue (USA)
• Marceau Portron (F)
• Delgrès (F)
• The Goon Mat & Lord Benardo (B)
Samedi 25 mai :
• Garden Juke Joint Jam
• David Minster (CH)
• David Evans (USA)
• Djely Mamou Kouyaté (CH)
• The Como Mamas (USA)
• Kenny Brown full band (USA)
• Cedric Burnside (USA)
• Don Lone (I)
Epilogue :
La dixième édition du Blues Rules Crissier Festival s’est déroulée les 24 & 25 mai 2019 dans les jardins du château de Crissier où nous avons accueillis 14 groupes sur la grande scène +1 au niveau des bars pour les intersets (partagés avec Phil DJ) dont 2 premières européennes, 87 bénévoles, le soleil (malgré une météo défavorable et suspense insoutenable!) et de la pluie (une première) et plus de 1300 festivaliers venant profiter du caractère convivial et chaleureux de ce festival unique en son genre, tant par son atmosphère que par sa programmation…
Et rappelons que malgré les pluies diluviennes du samedi - une bénédiction dans beaucoup de pays - plus de 600 festivaliers sont restés et qu'aucun concert ne fut annulé !
Merci à tous pour votre fidélité !
Cette année, nous laissons, re-laissons, délaissons à Christophe Goffette, journaliste musical français dont la réputation n’est plus à faire (mais peut-être à refaire ou à défaire), le soin de nous le raconter avec sa grosse verve :
C’est encore le bulbe rachidien tout embué de souvenirs gargantuesquement pantagruéliques (ou l’inverse, c’est selon, épic-andlove-étou),
un sourire presque figé-incrusté sur le visage pour au moins les dix-sept prochains jours (normal d’avoir la banane, me direz-vous, en compagnie de tout ce que le landerneau helvète peut avoir d’underground, nom d’un Warhol tatoué en pantacourt !), les oreilles toujours vibrantes (et vivantes) d’un bout-en-train d’arc-en-ciel de notes bleues-mais-pas-que, et le ventre endolori d’avoir tant ri (et aussi de les voir si belles, ces nuits bercées par les effluves électriques du Crississippi), et alors même que les légendaires bottes couleur maculée conception de pets glaireux de DJ Phil n’ont pas même fini de sécher, que je m’empresse de vous narrer par le menu cette infiniment chouette dixième cuvée Blues Rules, qui aura aussi été, hélas, la dernière sise parc du Château de Crissier. Une boucle temporelle décennale de bouclée donc, où même la pluie, pourtant habituellement absente des débats météo ou au pire démissionnaire de dernière minute (relire ici mon compte-rendu gadouilleux d’il y a deux ans, pour les plus courageux d’entre vous) était aussi de la « party », mais sans jamais véritablement réussir à jouer les trouble-fêtes.
Mais trêve de logorrhée billevesesque, j’arrête ici de m'improser (oui, de la contraction fornicatrice d’imposer sa prose), pour laisser la musique parler, car si pierre qui roule n’amasse pas mousse, et que blues qui rules attire parfois la mousson (mais sans faux col, hein), on ne va pas pour autant gaspiller notre temps à jouer à « et toi, tu t’es vu quand il a plu ». Surtout que, sans vouloir vous divulgâcher le happy end de notre petite histoire du jour d’un week-end, la vérité, ainsi que l’essentiel, était ailleurs. Et majoritairement au sortir des nombreux haut-parleurs de part et d’autre de l’unique scène.
Et puis, de toute façon, la pluie ne s’est invitée que le second jour et je m’en vais vous narrer tout ça par le menu, avec force discipline et remue-méninges libératoire, une fois n’étant surtout pas coutume. Et donc débuter par la vénérable mise en bouche-à-oreille proposée par Chœur Auguste, une chorale avec un cœur gros comme ça (non, un peu plus, même, car plus on prend de l’ampleur, plus nos voix portent loin), par ailleurs passerelle et transmission idéales entre la culture du canton de Vaud, parce qu’elle le… mérite bien, et les nombreux invités américains du festival, pour qui bienvenue ne pouvait être plus réussie ni même d’une symbolique plus ad hoc.
De toute manière, dès lors qu’on en a suffisamment dans les calebasses pour reprendre de haute volée « The Mercy Seat » de Nick Cave, c’est la garantie d’une prestation réussie.
Dont acte. Et même ‘Acte 1’
‘Acte 1’ d’une programmation particulièrement bien équilibrée, qui en comptera tout de même quatorze (plutôt quinze d’ailleurs, en comptant les trublionnesques et enlevés intersets façon ol’timer bluegrass de Floyd Beaumont & The Arkadelphians, dont l’espièglerie roots très string-band a ravi 100 % des festivaliers croisant leur chemin !
Les choses montent sérieusement d’un cran
avec l’arrivée sur scène du sympathique Todd Albright, avec qui j’ai eu la chance de parler longuement… cinéma, quelques heures avant le début des hostilités. Todd est signé sur le label de Jack White (Third Man Records) ; oui, le « Tarantino du rock » (appellation incontrôlée © Da Goof), posture et imposture incluses, mais qui a en commun avec QT d’avoir des goûts sûrs et assurés. De fait, Todd assure un country blues à la douze-cordes (je les ai comptées, mais je suis un perfectionniste), option bonne grosse voix baryton des familles. Et ces familles en question, ce sont toutes celles des grands maîtres traditionalistes (sans le savoir à l’époque) tels que Blind Lemon Jefferson, Leadbelly ou encore Blind Willie McTell. De fait, le titre du second (et dernier en date) album sorti par Todd courant 2017 résume tout ceci à merveille : « Detroit Twelve Sting Blues & Rags ». CQFD.
il y a toujours au moins un Burnside pas loin
Ceux qui sont des habitués des remontées printanières du Crississippi le savent, en général il y a toujours au moins un Burnside pas loin lorsqu’il s’agit du Blues Rules. Cette année, dans la famille Burnside, le premier à monter sur scène aura été Kent, petit-fils du mythe R.L. Burnside, qui a en commun avec son grand-père (et d’ailleurs la totalité des musiciens de la famille) de ne surtout pas tomber dans le revival de trop, mais au contraire d’aller invariablement de l’avant, de laisser son blues vivre, respirer et gentiment transgresser les codes, us et coutumes. En l’occurrence ici en arrosant son blues d’une soul empreinte de grooves chaleureux et même parfois pas loin de rivages funky. Le tout avec tout de même pas moins que mister Kenny Brown himself (ancienne fine gâchette de R.L. Burnside, parrain du festival et organisateur lui-même de l’incontournable « North Mississippi Hill Country Picnic ») en sidekick de luxe !
Débarquent ensuite Johnie B et « sa » Queen Iretta Sanders,
respectivement tout de jaune et de rouge vêtus (oui, ça pique un peu les yeux !) pour leur tout premier concert en Europe (alors que le couple à la ville comme à la scène se produit tout de même depuis le milieu des années 80 !). Et quel concert ! Quelle énergie ! C’est bien simple, Queen Iretta est un peu une version Mississippi Juke Joint Blues de Tina Turner, déhanchés et coups de bassin inclus. Face à la scène, ce ne sont que sourires et danses et tout le monde de se précipiter pour féliciter le couple après leur chaud chaud show.
Après la découverte, retour aux (bonnes) habitudes,
avec l’interminable Marceau Portron (pour résumer : des jambes, encore des jambes, un peu de jambes entre les deux, une guitare et le sacré coup de paluche qui va bien avec), presque la tête dans les nuages s’il y avait eu des nuages, que j’avais découvert en 2017 où il assurait (dans les deux sens du terme) les intersets (il avait d’ailleurs rempilé l’an passé)… Marceau, ce sont des allers-retours incessants entre classicisme exacerbé, virtuosité indéniable et expérimentations tous azimuts.
Pour sa seconde partie de set, il est rejoint par Kim Anh Rockin’ On, un pur concentré d’énergie électrique et électrisante, depuis Saïgon et Paris et jusqu’aux différents infinis d’un rock écorché façon cri primal. Les deux se connaissent admirablement bien, pour avoir déjà joué ensemble sous le nom de Kim Anh & The Tall Man (legs, more legs…) et l’osmose est palpable, les blues rulers, bouche bée (et toujours le sourire aux lèvres), n’en loupant pas l’once d’un début de miette.
Mais ça n’est pas fini, loin s’en faut !
Il est minuit passé quand arrivent sur scène les Delgrès (nom donné au trio en hommage à l’abolitionniste Louis Delgrès, connu pour la proclamation anti-esclavagiste qui porte d’ailleurs également son nom), un groupe qui ne ressemble à nul autre, ni dans sa construction instrumentale (avec un soubassophone au cœur des ébats et débats soniques), ni dans son style (qu’on pourrait décrire comme du « blues créole »), ni bien sûr dans ses messages, dont le principal est directement contenu dans son nom. Pascal Danaë, le chanteur, n’est pas non plus un nouveau venu, puisqu'après avoir obtenu une licence en musicologie, il a enregistré un premier album (très folk blues) basé sur son séjour à Londres, où il a vécu de nombreuses années, tout en se produisant sur scène ou en collaborant avec des gens comme Peter Gabriel, Morcheeba, Manu Katché, Neneh Cherry ou même Souad Massi, à qui il y a écrit plusieurs chansons. Petit détail trivial : Delgrès est le groupe qui a fait sauter la caisse du merchandising pour cette édition 2019 du Blues Rules !
C’est aux Belges The Goon Mat & Lord Benardo que reviendra l’insigne honneur de clôturer la première des deux soirées,
mais aussi le défi de passer ‘après’ Delgrès, défi remporté sans aucun souci, avec leur boogie blues plus que costaud (surtout si l’on en revient au fait qu’il s’agit à la base d’un simple one-man band ‘réhaussé’ d’un harmoniciste certes endiablé). Mat’ est un colosse aux pieds de nez agiles pour ce qui est de malaxer, mâchouiller et recracher un blues habilement craspec et volontiers gouailleur. Si vous n’avez strictement aucune idée de ce à quoi cette description effectivement équilibriste peut correspondre concrètement, hé bien, je ne dirais qu’une chose : vous n’aviez qu’à bouger votre séant jusqu'en Suisse le week-end dernier, bam !
Invitée de dernière minute : la pluie !
Le samedi devait débuter par une « Saturday garden jam », en lieu et place de quoi nous avons eu un magnifique déluge de plusieurs heures !… Déluge qui n’aura pas empêché le Suisse David Minster, lauréat du tremplin 2019 organisé par le Blues Blues et la Fnac —et quel lauréat !— d’investir la scène et d’en faire son terrain de jeux. David, je le suis depuis un bon moment, ayant même essayé à plusieurs reprises de le faire venir jouer du côté de la capitale française. En vain, jusqu'à présent, mais à force de persévérance, nous allons bien y arriver, surtout que musicalement et tout autant au niveau de sa présence, de son charisme ou même simplement de son jeu de guitare, notre homme a sérieusement franchi un cap et il serait inapproprié de ne le présenter que comme un bon interprète des chansons de son beau-frère, le regretté Calvin Russell. Non, David Minster s’affranchit petit à petit de ce qui aura été son point d’ancrage dans le monde de la musique, et nous lui souhaitons de continuer de déployer ses propres ailes, car leur envergure risque d’en surprendre plus d’un.
Un autre David se présente ensuite sur scène,
d’une autre génération et d’un autre continent, en la personne de David Evans ; pardon, du Professeur David Evans, l’éminent musicologue spécialiste des musiques afro-américaines en général et du country blues en particulier, mais aussi Directeur du programme d’études en ethnomusicologie de l’Université de Memphis. C’est grâce à David Evans et à son inlassable travail (notamment de producteur) que l’on doit aujourd'hui la connaissance des plus sinueuses circonvolutions du blues du Mississippi, et même de certaines de ses incontestables pointures, comme Robert Belfour ou RL Burnside (on y revient toujours !). Mais David Evans est aussi musicien et pas qu’accessoirement, comme il l’a prouvé avec sa guitare, son toucher tout en finesse et son timbre vocal sûr et merveilleusement rocailleux.
Retour en Suisse
avec Djely Mamou Kouyaté, un multi-instrumentiste burkinabé d’origine et lausannois d’adoption, qui poursuit à sa manière (c’est à dire en alternant haute voltige fiévreuse et travail d’orfèvre inspiré) le travail de transmission de son père, qui était griot, à savoir partie prenante d’une caste de poètes musiciens dépositaires de la tradition orale. Lui combine la musique mandingue, tout de même d’obédience blues mais surtout rhythm and blues, et des sources d’inspiration plus clairement à aller chercher du côté de ce qu’on appelle les « field hollers », cette ‘musique’ vocale apparue dans les champs (de coton, mais pas que) et qui permettaient aux esclaves d’accompagner leur travail en communiquant entre eux et surtout en s’exprimant par ce biais.
Grosse présence vocale également —et bien sûr !—
avec The Como Mamas, un trio en provenance des collines du nord-Mississippi, l’indispensable « moment gospel » du festival (en effet, à chaque cuvée sa formation gospel, c’est un des rituels inaliénables du Blues Rules !). Les harmonies vocales sont imparables et le placement de chacune des voix millimétré et au cordeau, se basant sur des décennies de savoir-faire, dans les églises de Como et alentours, dans une version donc plus rurale du gospel que les quelques incursions grand public de ce style trop souvent oublié des grands festivals blues.
Retour de Kenny Brown,
déjà vu la veille aux côté de Kent Burnside, mais cette fois-ci bien au centre de la scène et de son répertoire, clairement plus country (ah, ce jeu de slide !), et parfois rock’n’roll, que ce qu’il peut produire lorsqu'il surélève le blues d’autrui (rappelons qu’il a tout appris de Mississippi Fred McDowell, Johnny Woods et Mississippi Joe Callicott —qui était voisin de ses parents quand il était ado !—, ce qui tout de même vous pose son guitariste). Pour les spécialistes d’étiquettes et parce que si la Suisse est l’autre pays du fromage, c’est forcément aussi l’autre pays des étiquettes, Kenny excelle dans ce qu’on appelle le North Mississippi Hill Country Blues. Ce qu’on peut résumer par du boogie blues très rythmé et basé sur de solides riffs, si vous préférez les descriptions aux étiquettes. Bref, du tout bon, que vous soyez le roi de la labellisation ou non !
Des centaines de blues rulers encore présents sur les rivages du Crississippi
Pour ne pas souffrir de la moindre comparaison après le passage d’un incontestable cador du blues, rien de tel que le cador d’entre les cadors du blues, en l’occurrence ici Cedric Burnside, très certainement le plus grand bluesman en activité et ce ne sont pas les centaines de blues rulers encore présents sur les rivages du Crississippi samedi, aux alentours de minuit, et après avoir bravé la pluie, la pluie et encore la pluie, qui me contrediront. Habité par l’âme du blues, par l’esprit de ses prédécesseurs, dont il a amalgamé le meilleur tout en gardant une approche moderne au sens d’une grande liberté d’action et d’expression, toujours souple et surprenant, jamais redondant, Cedric Burnside n’est pas seulement un exceptionnel batteur (cinq Blues Music Awards dans cette catégorie, qui dit mieux ?), c’est aussi un guitariste habile et instinctif, au toucher aussi unique que l’est sa voix, qui résonna encore et encore bien après la fin de son rappel à Crissier. Et encore, vous pouvez aussi ajouter à cela une gentillesse, une humilité et une disponibilité sans faille, dont beaucoup pourraient et devraient tirer des leçons.
Clôturer cette belle édition (la meilleure ? Beaucoup de festivaliers l’ont exprimé)
ne fut pas une mince affaire, mais les Italiens de Don Leone, entre le tranchant d’un blues électrique et une approche acoustique plus modulée (et modulable), s’en sont tirés avec tous les honneurs. Malheureusement, leur set nerveux devait amener la traditionnelle jam finale et avait même sans doute été conçu dans cette optique ; jam finale qui, pour d’évidentes raisons météo, n’aura pas lieu, remplacée tout de même pour quelques happy few par un DJ set sous la tente du bar des artistes, avec un Phil tellement survolté qu’il n’en avait pas même enlevé ses bottes en plastique !
Musique : Phil DJ
Photos : Fox Kijango / Christophe Losberger / LN PixElle
Vidéos : Frack Rapido / son : Raph Moquet
Public : vous (merci)
Retrouvez également les concerts live sur notre page facebook bluesrules
Vidéos : Steph & Fox / son : Raph Moquet
Vendredi 24 mai
17h30 : Ouverture des portes
18h30 : Chœur Auguste (CH)
19h30 : Todd Albright (USA)
20h30 : Kent Burnside (USA)
21h30 : Johnie B. & Queen Iretta Sanders Blues Band Revue (USA)
22h30 : Marceau Portron (F)
23h30 : Delgrès (F)
01h00 : The Goon Mat & Lord Benardo (B)
02h00 : à demain...
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Les intersets des 2 jours sont assurés par Floyd Beaumont & the Arkadelphians et DJ Phil.
Samedi 25 mai
11h30 : Ol’Timer Blues Caravan
(Défilé de vieux tracteurs & concert itinérant dans les rues de Crissier)
17h00 : Ouverture des portes + Saturday Garden Jam
18h30 : David Minster (CH) - Lauréat du tremplin BRCF-Fnac 2019
19h30 : David Evans (USA) - Grammy 2019
20h30 : Djely Mamou Kouyaté (CH)
21h30 : The Como Mamas (USA)
22h30 : Kenny Brown's band (USA)
23h30 : Cedric Burnside (USA)
01h00 : Don Leone (I)
02h00 : Final Jam
02h30 : à l'année prochaine...